Ecureuils




Moments de tendresse avec ce couple d'écureuils des bois venu faire sa parade amoureuse devant mon objectif !
Immersion
11h en ce mercredi de mai. Finalement, je suis libre jusqu’au soir. La météo annonce de la pluie, mais il fait beau ! Grand beau ! La lumière est fantastique. C’est un jour pour les photographes.
C’est comme un appel. Frénétiquement je fais mon sac. On m’attend là-bas.
Là-bas, c’est le versant sud du massif de Tabe. Il y a deux ans en descendant à skis du Saint-Barthélemy, une rencontre brève mais intense est restée gravée dans ma mémoire : deux magnifiques cornes de mouflons, les petits, la mouflonne ...
Ah, je veux être photographe animalier ? Le mouflon avec ses trois cents mètres de distance de fuite versus mon téléobjectif de 400mm, c’est un beau défi !
A la sortie du village, la vue donne sur tout le versant. Je sors les jumelles et scrute.
Rien ...
Rien.
Si, les vautours décollent. 5, 10, 15, 20, toute la troupe va faire un tour. Au moins je ne suis pas bredouille. Pas de photo, mais je sais ....
Sur le parking, il y a trois voitures. Je ne serai pas seul ...
Je décolle à midi. Dans mon référentiel ce n’est quand même pas terrible comme horaire, je pense. En fait c’est l’horaire parfait, mais je ne le sais pas encore. Au bout d’une demi-heure, j’arrive à un petit promontoire, d’où on voit tout le flanc de montagne. Je remets les jumelles. A côté d’un arbre, quelque-chose bouge, s’en va et revient, et bouge encore. Je n’arrive pas à l’identifier.
Bon, il y a de la vie et ce n’est pas un humain. J’y vais. A la bifurcation je prends à droite. Là où ce n’est pas balisé. Je suis déjà venu là. Le sentier se perd puis se retrouve. Puis se perd. Une source. De l’eau partout, je patauge.
Ça bouge dans les fougères. Interdit, je m’arrête. Mais oui ça sent fort, là.
Pas possible ! A dix mètres de moi, deux mouflonnes passent avec leur progéniture. Et hop tout disparaît. Mon cœur accélère. Non, je n’ai pas eu une hallucination, les traces sont bien là. Il suffit de les suivre. Sauf que les mouflons vont tranquille dix fois plus vite que moi. Et puis une photo de fuite c’est pas une photo.
Là je commence à comprendre. Le ventre vide, le sac qui pèse, l’objectif en bandoulière, je me mets à suivre les traces d’animaux nettement plus agiles et plus rapides que moi. Folie ? Non, c’est ma seule chance en fait.
Ce n’est pas compliqué, ça monte tout droit, fougères ou buissons on s’en fout. Faut monter, quoi. Et sans faire de bruit. A pas de Sioux.
A la faveur d’une trouée je les retrouve, perchés sur un promontoire. Je me sens ridicule tout en bas, mais ce n’est pas grave. Je les cadre et je déclenche. Photo. Et re-photo. Il est sympa le petit qui vient contre sa maman. C’est loin, il n’y a pas de lumière (zut dans l’intervalle un nuage est arrivé ...) mais je les ai sur le capteur. (Photo_1)
On fait connaissance. Je bouge tout doucement. Ils remontent de trente mètres et me regardent. A mais là ça ne va pas le faire. Dépité je pose le sac et m’alimente. Intrigués, ils m’observent. « Ah lui aussi il mange ? »
Ils restent sur leur promontoire. Mètre par mètre j’entreprends de me rapprocher. Je gagne petit à petit du terrain, réussis une photo de-ci de-là à la faveur d’un rayon de soleil, mais à cent cinquante mètres ça ne le fait pas. (Photo_2) Finalement ils décampent et je monte au promontoire. Superbe poste d’observation. Il est quatorze heures et je décide de l’investir. Je pose le sac et sors le pique-nique tout en observant.
Ah oui, il y a une bonne quinzaine de mouflons en contrebas vers la gauche à deux cents mètres. Personne ne bronche. Du coup je pique-nique peinard avec vue sur les mouflons qui broutent tranquillement. (Photo_3) Je ne peux pas croire qu’ils ignorent ma présence.
Sans le savoir je commence à passer de l’autre côté...
Un par un les mouflons sont rentrés dans le bois de hêtres (Photo_3). Plus personne en vue. Empoignant mon objectif je me mets à descendre mètre par mètre vers le dernier point où j’ai vu un mouflon. Je comprends. De l’eau partout. Une source. Ils sont venus boire. Mètre par mètre, pratiquement centimètre par centimètre, je rentre dans le bois.
Tout à coup une mouflonne qui allaite. Deux photos, une nette (Photo_4). Elle recule de dix mètres et me regarde. Je m’excuse. Si, je lui parle ! Mais si, elle semble comprendre et repart tranquillement avec son petit. Ça sent très fort, les mouflons sont là dans le bois, tout le troupeau, à moins de cent mètres. Mais si je bouge c’est la panique assurée. Du coup je reste coi et j’observe (Photo_5). Lentement ils descendent, me laissant également progresser sur les fesses, mètre par mètre. Dans la hêtraie la lumière a disparu, la météo avait raison. Il n’y aura pas plus de photo. Ça sent la pluie, les odeurs sont prégnantes. Voilà le sentier. Je m’arrête, exténué. Exténué d’avoir utilisé tous mes sens. Je m’assois sur une pierre et reste immobile.
Les mouflons s’éloignent peu à peu. Tant pis, je renonce à les suivre. Je suis trop fatigué.
Du bruit !
Du bruit qui se rapproche.
Mais ce n’est pas du bruit de mouflon ça...
Ah voilà, ça bouge dans les branches.
Un écureuil !
Ah mais non, ils sont deux !
Et pas de la même couleur. Qui est le mâle et qui est la femelle ?
Ils se courent après, de branche en branche sous la pluie qui démarre. Je suis au spectacle !
Vite les réglages. Monter les Isos. Essai. Il faut au moins le 1/1000 de seconde pour ces petits bouts avec cette lumière toute faible.
Ah zut ils ont disparu.
Fausse alerte. Le temps de changer les réglages, je n’ai pas pris une seule photo.
Crevé, je suis. Je me rassois sur une pierre qui m’attend là.
Dépité. Mais que faire ?
Le bruit !
Les écureuils reviennent. Ils me regardent et repartent de plus belle. Immobile je reste.
Et là, devant moi, sur une branche à dix mètres, ils s’arrêtent. Je monte l’objectif et les cadre.
Photo. (Photo_6)
Le léger bruit de l’obturateur ne les dérange pas. Ça y est je comprends. Ils sont très amoureux ...
Ils vont et viennent sur leur branche, là, juste devant moi. Pas croyable. (Photo_7)
Mon appareil et moi faisons partie du paysage ...
La pluie tombe toujours.
Il lui chuchote à l’oreille (Photo_8). Elle le prend dans ses bras (Photo_9) et pose sa patte sur son épaule (Photo_10). Il l’enserre encore (Photo_11).
Elle se retourne. Elle a bien raison. Le cadrage est meilleur comme cela, les branches créent le point de fuite. (Photo_12)
Et soudain c’est l’accouplement. Ah ben fallait être prêt, pour être court c’est court.(Photo_13)
Et encore des câlins. (Photo_14)
Elle reste sur sa branche (Photo_15) et lui part à fond les manivelles. Revient (Photo_16). Me dévisage : « Alors, tu as réussi tes photos ? ». (Photo_17)
Non mais, en plus il a compris que je suis un photographe ?
Abasourdi.
Je check mon écran. Fantastique. Les photos sont nettes. Je suis parti pour du mouflon et j’ai « dans la boîte » la tendresse des écureuils.
Je n’étais pas prêt pour ces émotions. Les larmes montent. Les écureuils reviennent mais là, c’est pour me dire au-revoir.
Il est seize heures. En deux heures j’ai progressé de trente mètres. Je l’ignore encore, mais là est le secret.
Bon, je fais le point : les mouflons de tout à l’heure ont disparu, j’ai les écureuils dans la boîte, je suis fatigué, il pleut, et tout ce que j’ai appris me pousse à redescendre.
Mais pas l’instinct. L’instinct me dit de monter. Envers et contre tout.
Les deux humains qui descendent là-bas sur le sentier sans faire de bruit sont les derniers. Je ne le sais pas, mais les animaux, si.
Ils me le font comprendre.
Les oiseaux d’abord. Un bruand fou se pose là, devant moi. Tranquille, je le prends en photo. (Photo_18)
Puis un accenteur mouché. Photo. (Photo_19)
Ça bouge dans les buissons. Peu à peu, les mouflons sortent. (Photo_20)
Les animaux reprennent possession du territoire.
Bon sang, aujourd’hui il n’y avait que six humains discrets et pourtant tous les animaux étaient planqués. Qu’est-ce que ça doit être un dimanche de juillet ...
Bon, mais ils sortent et moi je fais quoi, là, au milieu ? Suis-je encore seulement perçu comme un humain ?
...
Je monte. L’instinct me dit de monter.
Il pleut.
Là-bas devant le sentier deux cornes. Un mâle ! Mais au fur et à mesure que je progresse il s’éloigne. Trois cents mètres de distance lui vont bien. En photo ça ne rend rien.
Le sentier se rapproche d’une crête. Instinctivement je me mets à quatre pattes, puis je rampe dans l’herbe mouillée l’objectif en avant.
Quel pressentiment. Là, à trente mètres, une mouflonne et deux petits. Un mâle et une femelle. Il y a 18% de jumeaux chez les mouflons. Quelle chance !
A plat ventre je prends une première photo (Photo_21). La petite tourne la tête et me repère sans m’identifier comme un danger. La mère me repère à son tour sans être vraiment inquiète (Photo_22). Tranquillement elle « ramasse » ses deux petits (Photo_23) et entreprend de traverser vers la gauche. Mon objectif accompagne le mouvement (Photo_24) quand j’entends bêler juste derrière moi.
Je me retourne ...
Bon sang, mais toute la troupe est là !
La nurserie. Au printemps les femelles se regroupent avec leur petits et les mâles se carapatent.
Trente paires d’yeux m’observent et je ne sais plus où me mettre. Ils sont vraiment très proches. Et tout ce monde défile tranquillement sous mon objectif. Sous la pluie, la lumière est très peu contrastée, mais pour les mouflons c’est très bien en fait. (Photo_25)
Mais comment est-ce possible ? Ils m’ont adopté ! Quelle émotion. Les larmes reviennent ...
Il est dix-sept heures et l’instinct me dit encore là-haut, plus haut. Le ciel s’éclaircit.
En arrivant en vue de la cabane, il y a des cornes devant moi.
En rampant j’arrive sur un repli de terrain. Deux mâles devant moi. Mais je me retrouve trop près pour eux. Ils reculent de cinquante mètres. Mais je m’en sors bien en fait. La lumière du soleil est revenue (Photo_26). Comment les isoler sur une crête pour pouvoir les détacher avec le soleil dans le dos à cette heure ? Je commence à les contourner à quatre pattes vers la droite, ça fonctionne. En restant à quatre-vingts mètres, ils supportent ma présence et broutent tranquillement, me laissant les prendre en photo à ma guise (Photo_27).
Je reste assis là avec eux, finalement on est bien, là, dans la lumière du soleil rasant.
Ah mais ça bouge au déversoir du lac. Vite les jumelles. Mais ce sont des humains ! J’observe mes congénères. Deux randonneuses, une est pieds nus, pas de sac. OK, les sacs sont près de la cabane. Elles reviennent avec les bras chargés de branches. Ça sent le bivouac à la cabane.
Il est dix-huit heures, je me dirige vers elles. On engage la conversation. Elles font la traversée du Massif de Tabe et sont arrivées par le haut, comptant effectivement dormir à la cabane.
« Vous avez vu les mouflons ? » « Non, rien ... ».
Pas possible. Je leur montre sur mon écran mes prises de vue, les écureuils, et tout et tout. Elles n’en reviennent pas.
A pas de loup on revient vers la cabane. Sous une bosse de terrain, soudain, je me couche au sol. Les deux mouflons mâles de tout à l’heure sont juste là.
L’instant est magique.
Tous les trois, on observe tranquillement, mais pour les photos c’est râpé. La lumière est partie, le ciel se recouvre. La pluie va revenir.
Les mouflons se décalent, on se déplace vers la cabane.
L’orage éclate.
Là il faut bien que je redescende. Mais les deux mouflons sont sur le chemin ! En leur parlant et en me décalant, j’avance sans leur faire peur. Au final je passe à vingt mètres des mouflons sans broncher et sans les mettre en fuite.
Sous la pluie battante je descends sur le chemin. J’ai sorti les bâtons pour plus de sécurité et plus d’efficacité, le sac est lourd ...
Quand soudain, surgissant d’un buisson juste à côté du chemin, une mouflonne détale vers le bas. Sa petite déboule éperdue, mais elle ne voit plus sa mère. Elle court vers moi, paniquée ! Catastrophe ! Je mets les bâtons entre les jambes et me fige. La petite me passe à côté en bêlant, s’arrête et me regarde, ne sachant que faire. Ah mais je m’en voudrais qu’elle ne retrouve pas sa maman, non sevrée c’est la mort assurée !
Je lui parle, ça la tranquillise. Je tends le bras vers le bas en lui disant « Ta maman est en bas, là-bas en bas ! ». Bras tendu vers le bas je me décale au bord du sentier. Elle me suit du regard, j’insiste « Là-bas, en bas » et enfin, elle aperçoit sa maman et file vers elle.
Soulagement.
Et c’est parti pour une séance de câlins « Maman je t’aime » et « je t’aime ma petite ».
Rassuré, je reprends la descente. Chose incroyable, la mouflonne monte à ma rencontre avec sa petite. Elle s’arrête à dix mètres du sentier comme pour me dire merci. Mais c’est moi qui suis gêné. Un sourire, un geste de la main et on se quitte, quittes.
C’est la besace chargée d’émotions, que je retrouve le parking à la nuit noire.
Il est vide...
A part les deux randonneuses, j’étais bien le dernier humain en montagne.
Mais, quel humain ?




Ecureuil dans mon jardin